C’est un charmant petit village à 1000 m d’altitude au-dessus de la vallée de l’Arve, sur la route de Chamonix. Il se trouve que dans ce lieu se trouve une Chartreuse abritant une communauté de Carmélites, et que j’ai atterri là comme aumônier de cette communauté. Depuis le mois de septembre, j’ai ai fait mon reposoir de religieux-prêtre retraité. Alors, évidemment, j’ai le temps de regarder, de contempler, de réfléchir et de rendre grâce.
D’abord je regarde. Je dois dire que ces temps-ci, la chance est de mon côté : la présence du soleil donne aux couleurs d’automne un éclat de paradis terrestre. Chaque matin, en quelque sorte, j’entends la nature chanter son créateur. Chaque matin devient pour moi un réveil pascal, qui me donne envie de contempler et de chanter des « alléluia » de reconnaissance. C’est d’autant plus beau, qu’en même temps je n’entends plus le monde chanter : on appelle ça le désenchantement. Le monde ne chante plus, ou chante faux, mais la création, elle, chante encore quand on prend la peine de la regarder.
Evidemment, certains vont trouver toutes les raisons possibles et imaginables pour disqualifier les ravis de la beauté du monde : ce sont des gens qui tendraient à se rassurer devant les turpitudes criantes du monde actuel, en ne sachant pas regarder la réalité et en faisant de l’émerveillement béat un chemin d’espérance. Bien sûr, comme pour toute attitude humaine, des aveuglements peuvent se cacher derrière l’affirmation de la beauté du monde, et le plus beau poème ne rend pas nécessairement la beauté perdue à la nature maltraitée.
Mais le désespoir, fruit du désenchantement, n’est-il pas aussi dangereux que l’émerveillement ? Bernanos fait dire à son curé d’Ambricourt : « Attention au péché contre l’espérance… C’est le plus riche des élixirs du démon, son ambroisie ». Autrement dit, attention à la mode qui nous invite à savourer ce qui ne va pas et à « trouver des sauveurs » pour un pays qui se meurt. Peut-être vaut-il mieux retrouver une âme d’enfant pour voir les petits détails qui enchantent le monde intérieur et font rayonner la joie au dehors. Mettre son âme en action de grâce va sans doute nous porter plus loin que désespérer de tout. D’ailleurs ne dit-on pas que le coq gaulois est le seul animal qui réussit à chanter avec les pieds dans la boue !
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