Indignez-vous ? Indignons-nous ? Et après ?

12 février 2018

Entre deux trains à la gare d’Austerlitz, à Paris, je passe dans un kiosk et je vois ce titre « Le chemin de l’espérance »1 ?

Aussitôt tous mes clignotants se sont mis en alertes - à cause de ma déformation professionnelle sans doute -, car c’est la spécialité des chrétiens de parler de l’espérance, non de l’espoir à court terme, mais de l’espérance à long terme, eschatologique comme on dit dans notre jargon. Quand j’ai vu les deux noms prestigieux, je l’ai acheté sans le feuilleter, les yeux fermés : Stéphane Hessel et Edgard Morin. Ça alors ? Quelles signatures ? J’ai dévoré le livre de Paris à Issoudun dans le Berry.

"Notre propos, écrivent-ils au dos de la couverture, est de dénoncer le cours pervers d’une politique aveugle qui nous conduit aux désastres. Il est d’énoncer une voie politique de salut public. Il est d’annoncer une nouvelle espérance."

Ces deux hommes se livrent à une critique sans complaisance des grandes carences de notre société. Ils mettent le doigt sur "les appétits déchaînés du profit, la dégradation des solidarités concrètes, l’hyperbureaucratisation des administrations publiques et privées, l’exacerbation et la pression de la compétitivité… les intoxications consuméristes poussant à l’achat de produits dotés de qualités illusoires…" (p 19).

Ils parlent d’un "crétinisme économiste incapable de formuler aucun grand dessein", d’une "carence d’empathie, de sympathie et de compassion, de l’indifférence, de l’absence de courtoisie, de carence d’amour dans les soins médicaux et hospitaliers, dans l’enseignement… " (p 20-21). Finalement, ils s’appuient sur Platon qui écrivait " pour enseigner il faut de l’éros », c’est-à-dire « de l’amour pour la connaissance que l’on enseigne."
Partant de là, leur réquisitoire se fait lamentation sur le mal-être dans notre bien-être, "la solitude qui frappe 4 millions de personnes en France, principale cause des appels à SOS Amitié…".

Ces deux intellectuels éminents esquissent la voie d’une régénération par le succès de librairie du "Indignez-vous" de Stéphane Hessel, par une insurrection des consciences face à la fossilisation des partis politiques actuels ; bref ils en appellent à "un puissant mouvement citoyen qui pourrait s’européiser et se répandre sur la planète entière, fécondant ainsi une politique de l’humanité" (p. 60-61).

Au terme de ce qu’ils "dénoncent et énoncent" pour reprendre leurs termes, je ne peux m'empêcher de me poser la question :

Au nom de qui ou de quoi, vais-je avoir le souci de l'autre, accueillir des migrants, pratiquer l'altruisme, être soucieux du bien commun de tous ?

Le visage, lieu de la transcendance ?
Emmanuel Levinas a des paroles fortes pour parler de l'autre : «l’autre est devant moi un visage».
Le visage est un mode irréductible selon lequel l’être peut se présenter dans son identité… Voir un visage, c’est déjà entendre : "tu ne tueras point" et entendre :" Tu ne tueras point", c’est entendre : "Justice sociale…"
Dans «Ethique et infini», il élargit son propos : "Je suis responsable d’autrui sans attendre la réciproque, dût-il m’en coûter la vie. La réciproque, c’est son affaire." "Le visage signifie l’infini… on n’est jamais quitte vis-à-vis d’autrui… L’exigence éthique est une exigence de sainteté… A aucun moment, personne ne peut dire : j’ai fait tout mon devoir…"

Une éthique fondée sur une transcendance est incontournable aujourd’hui.
Une transcendance fondée sur le respect absolu de la personne humaine (humanisme philosophique) ou/et/ une transcendance fondée sur la foi en Dieu (Révélation).

Une éthique fondée sur la transcendance

Je pense à l’éthique, à la transcendance, à l’Évangile, à «une politique de l’humanité» ? Certains agissent au nom de Dieu, d’autres au nom de l’humanité. Les deux se rejoignent. Dieu et l’homme ne sont ni des rivaux ni des concurrents. Dieu n’est pas jaloux des réussites de l’humanité : il s’en réjouit. «Je ne vois pas ce qui peut faire l’unité de l’humanité, si ce n’est une transcendance révélée». Que Malraux ait dit ou non cette phrase, peu importe. Mais elle contient une vérité profonde.

J’en reviens à nos hommes éminents qui terminent ainsi leur livre : «le vouloir-vivre nourrit le bien-vivre, le bien-vivre nourrit le vouloir-vivre ; l’un et l’autre, ensemble, ouvrent le chemin de l’espérance.» Bien sûr, ils ne visent pas l’espérance chrétienne d’un au-delà de la mort, d’un au-delà de l’horizon humain. Alors, se pose la question du sens, de la motivation profonde qui va pousser les humains à être solidaires. L’Afrique, avec ses valeurs, peut apporter à notre monde froid, égoïste et individualiste un supplément d’humanité à travers le concept millénaire de solidarité appelé «ubuntu» en langue bantoue.

Le cadeau de l’Afrique aux peuples du monde :
Ubuntu ou le concept de solidarité

Mgr Desmond TUTU affirme que « nous les Africains avons quelque chose, une valeur appelée "Ubuntu" (la solidarité), qui est un cadeau que l’Afrique va offrir au monde. Ce "ubuntu" comporte l’hospitalité, le souci de prendre soins des autres… car nous Africains, nous croyons qu’une personne «n’est-que-par-les-autres…»

«Quand je déconsidère l’humanité des autres, c’est ma propre humanité que je mets en doute.» Ainsi donc, il est indispensable de m'investir pour le bien de ma communauté à laquelle je dois mon humanité. Pour Monseigneur Desmond Tutu et d’autres peuples du sud de l’Afrique (xhosa, Tswana, Shona, Zulu), Ubuntu est un patrimoine articulé à la solidarité, sans laquelle, nous allons tous vers notre ruine. Mgr Desmond Tutu cite plusieurs proverbes et expressions pour dire que la force de l’homme existe quand elle est conjuguée avec celles de ses frères.

En Shona on dit : «simba rehove ni mu mvura», «la force du poisson est dans l’eau» pour dire que la force d’un homme est dans sa communauté. Pour eux l’ordre social n’est pas basé sur les actes des individus et leurs personnalités respectives, mais sur les aspects de solidarité du groupe, de la communauté.

- Il s’agit de mettre en œuvre la solidarité pour une survie commune, pour une libération collective, pour une économie collective, bref la lutte pour une même destinée et ils ne vaincront qu’en mettant leurs efforts en commun.
Martin Luther King dira lui aussi : «il faut apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons périr ensemble comme des imbéciles». L’idée de solidarité et de survie commune revient. Ainsi la philosophie africaine de «l’ubuntu» (la solidarité) serait un fondement solide pour parcourir ensemble «le chemin de l’espérance».

Il pourrait en même temps faire partie des piliers d’une éthique planétaire. En effet, l’humanité est désormais contrainte à l’espérance et à la solidarité ou alors à disparaître.

Qui est mon prochain ? (Lc 10, 25-35)

Et si on mondialisait la parabole du Bon Samaritain ?
Qu'en penses-tu ?

Emmanuel Lévinas, Difficile Liberté, Albin Michel, 3ème Édition, 1976, p.p. 20-21.
Et Éthique et infini, Ed Fayard, 1982.

 


1 Stéphane Hessel et Edgard Morin, « Le chemin de l’espérance », Ed ; Fayard, 2011, 

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